* Sarah Licha est fondatrice et PDG d’Espace RH inc. Elle se spécialise dans la gestion du changement et le conseil stratégique du capital humain (sarah@espacerh.com ou www.espacerh.com). Simon Lamoureux est auteur et créateur de contenu, partenaire d’Espace RH inc. (simon@espacerh.com).
Résumé
Les auteurs se penchent ici sur la confrontation culturelle qui survient lors d’acquisitions d’entreprises par des investisseurs étrangers. Le texte se penche particulièrement sur la réalité du Québec en comparaison à celles de la France et des États-Unis.
INTRODUCTION
Bien que l’acquisition d’entreprises par des investisseurs étrangers occupe une place importante dans les médias, cette mécanique d’affaires n’a en fait rien d’inhabituel. Cela dit, rien ne garantit que de telles acquisitions soient vouées au succès ; l’échec fait partie des risques courus et c’est cette conclusion fâcheuse qui tend à se retrouver à la une des divers médias.
La raison principale derrière ces échecs est souvent difficile à cerner. Après tout, une opération si importante n’est jamais le résultat d’un simple coup de tête : l’ouverture à un nouveau marché, les acquisitions stratégiques, tout ceci est calculé et doit présenter de bonnes chances du succès sans quoi le projet ne dépasserait jamais le niveau embryonnaire.
Certains iront jusqu’à se réjouir de l’échec de telles transactions sans jamais se poser de questions concernant les causes réelles de cet échec. Ce point de vue est souvent issu d’une méconnaissance du milieu alors que l’analyse de cette situation à travers la lentille des Ressources humaines révèle une tout autre trame narrative : une confrontation culturelle autant invisible qu’insidieuse.
I– LES ABC DE L’ACQUISITION
Quelles raisons poussent une entreprise ou un investisseur étranger à acquérir une entreprise établie dans un autre pays ?
Parfois, l’investissement sera motivé par l’acquisition d’une nouvelle technologie ou expertise afin d’en faire bénéficier son entreprise et ainsi de la propulser au-devant de ses concurrents. L’acquisition peut également être le premier pas dans la conquête de nouveaux marchés.
Peu importe la raison initiale, une acquisition vient bonifier l’offre de l’entreprise acquérante et implique que celle-ci devra s’assurer d’exercer un processus de diligence raisonnable, souvent appelé « due diligence ».
C’est au niveau de ces vérifications et conformités que la situation problématique prend pied. En effet, les investisseurs ont souvent des idées préconçues du territoire sur lequel ils tentent de s’établir, ce qui influencera souvent les volets abordés lors de cet exercice.
Dans un monde idéal, une diligence raisonnable devrait traiter l’ensemble des multiples aspects de l’entreprise, mais le volet culturel se voit souvent oublié, oubli découlant du fait que l’impact culturel d’une acquisition s’avère difficilement chiffrable.
La discipline des Ressources humaines se spécialisant sur tous les aspects plus nébuleux du monde des affaires, il n’est pas surprenant que la révélation de cette confrontation culturelle tombe sous l’égide des spécialistes de ce domaine, un autre argument pour inclure le service de ressources humaines au niveau décisionnel !
Il s’agit donc de prêter attention à l’approche que l’investisseur choisira d’adopter envers le territoire visé. Par exemple, il existe peu de liens culturels clairs liant la société asiatique et la société québécoise ; l’entrepreneur provenant du continent asiatique prendra donc davantage de temps et fera preuve d’une minutie plus poussée lors de l’analyse des moeurs du pays où se trouve l’entreprise à acquérir.
Accompagné d’un service de ressources humaines spécialisé en communications, un tel investisseur saura adapter la culture de son entreprise à celle du pays visé, ayant souvent pour résultat une acquisition sans accrocs majeurs, sans conflits aux conséquences potentiellement désastreuses ; une acquisition représente un investissement important et l’échec total de celle-ci peut rapidement dérouter l’entreprise-mère.
Qu’en est-il lorsque l’investissement provient d’une culture qui partage certains traits avec celle du pays convoité ?
II– LES COUSINS
Inutile de rappeler que les liens entre Français et Québécois sont tissés serré. L’investisseur français se sent évidemment lié par la langue commune tout en restant fasciné par le caractère distinct de la société québécoise, havre francophone dans une mer anglophone.
Suivant cette affinité certaine, une entreprise française se rabattant sur la langue commune aux deux pays sera tentée de sauter à la conclusion que les moeurs et l’attitude envers le travail des Québécois doivent donc aussi être similaires à ceux de ses compatriotes.
Or, les normes du travail québécoises offrent beaucoup plus de latitude que celles en France ; la semaine de travail standard est plus longue, les postes au niveau des ventes, pour ne citer que ceux-ci, font meilleure figure au Québec, nécessitant une attention différente de l’approche habituelle française.
À cet égard, l’ajustement à faire pour l’investisseur demeure minime, mais doit être fait correctement, car la confrontation culturelle prendra place au niveau des détails et des subtiles différences au niveau des interactions interpersonnelles.
Le débat et la joute oratoire font partie intégrale de la société française, à tous les niveaux. Nous n’avons qu’à comparer les différences entre le divertissement télévisuel québécois et français pour remarquer que les émissions françaises présentent une certaine compétitivité inhérente aux rapports humains.
Au Québec, bien que ces outils de communication soient connus et maîtrisés dans plusieurs sphères d’activité, la plupart du temps, l’apparence de conflit gêne et peut rapidement creuser un fossé perceptuel entre l’investisseur et ses nouveaux employés.
Dans cet exemple, le problème culturel est sous-jacent aux actions concrètes de l’investisseur. Une certaine réinterprétation doit être faite afin de bien transmettre les intentions de celui-ci telles qu’il les conçoit et non comment elles seront perçues.
III– LE RÊVE AMÉRICAIN
Question de faire contraste à l’exemple précédent, transportons-nous dans la tête d’un investisseur américain. De son point de vue, le Canada est un partenaire majeur des États-Unis depuis longtemps ; par conséquent, y gérer une entreprise devrait être aussi simple que d’ouvrir de nouveaux bureaux dans un des nombreux États de son pays natal.
Premier accroc, l’attitude envers le travail du Québécois moyen n’a rien à voir avec l’approche américaine où tout passe par le travail et l’argent. En fait, les congés parentaux, les pauses obligatoires et le simple fait d’avoir à approuver et demander aux employés de travailler en heures supplémentaires de temps à autre paraîtront quasi inconcevables à l’homme d’affaires américain.
L’investisseur confronté à cette réalité risque de remettre en question la loyauté et même les qualifications de sa oemain-d’oeuvre. La pire approche dans ce cas consiste à augmenter le nombre d’employés provenant des États-Unis afin de mener une forme de guerre culturelle ayant pour but de montrer l’exemple aux nouvelles troupes.
C’est pourquoi, dans ce cas précis, une escouade spécialisée en ressources humaines pourra bâtir un pont entre les désirs de l’investisseur et la réalité du marché du travail québécois, évitant ainsi une quantité incalculable de conflits en aval.
CONCLUSION
Malgré le portrait plutôt sombre dressé ci-haut, l’impact de cette confrontation culturelle peut être adouci grâce à un service de ressources humaines efficace, particulièrement à l’affût des subtilités différenciant la culture locale et étrangère.
Il ne faut pas oublier que cette confrontation, bien que souvent mal identifiée, n’est pas ressentie que par l’investisseur, mais peut être ressentie par les employés et mener à une attitude réfractaire envers les nouveaux patrons, menant à la formation de cliques qui auront recours à plusieurs tactiques subtiles afin de sécuriser leur position, tout cela souvent sans même en être totalement conscient.
Tout passe par une étude minutieuse et une panoplie de micro-ajustements des communications internes, autant entre les employés qu’au niveau des contacts qu’entretient l’entreprise avec ses fournisseurs et clients locaux.
La cohésion passe par l’écoute.