* Sarah Licha est fondatrice et PDG d’Espace RH inc. Elle se spécialise dans la gestion du changement et le conseil stratégique du capital humain (sarah@espacerh.com ou www.espacerh.com). Simon Lamoureux est auteur et créateur de contenu, partenaire d’Espace RH inc. (simon@espacerh.com).
Résumé
Les auteurs déboulonnent ici le mythe populaire selon lequel une refonte organisationnelle découle des actions ou du leadership d’une seule et unique personne. Le travail d’équipe qui assure le succès d’un tel accomplissement sera brièvement analysé afin de permettre au lecteur de bien discerner la réalité du mythe et d’ainsi être en mesure de mieux analyser le fondement derrière certains changements majeurs au sein du monde des affaires.
Introduction
Une entreprise s’apprête à passer à l’attaque d’un changement majeur au niveau de sa structure organisationnelle; le crédit ou le blâme, selon le résultat de l’opération, se voient souvent attribués à un seul individu.
Nous n’avons qu’à penser à la plus récente campagne électorale qui eut lieu chez nos voisins du Sud, au succès fulgurant d’Elon Musk, qui semble repousser les limites de l’innovation technologique et scientifique en accumulant les réussites avec ses nombreuses entreprises ou encore plus près de chez nous au succès entrepreneurial de l’homme d’affaires Alexandre Taillefer; l’être humain simplifie souvent des enjeux extrêmement complexes en les réduisant à une idée plus tangible, plus facile à cerner d’un point de vue intellectuel. Les nuances s’effacent alors que les contradictions et subtilités inhérente à la situation font place aux préjugés et aux préconceptions de l’observateur.
En fait, si, par exemple, nous demandons à quiconque d’estimer la taille d’un objet mesurant un mètre de long, assumant que la personne concernée soit familière avec le système métrique, une panoplie de références se présenteront rapidement à son imaginaire, permettant ainsi à l’individu d’estimer la taille de l’objet de manière assez précise.
Répéter l’exercice avec un objet s’allongeant sur plusieurs milliers de kilomètres risque d’avoir un résultat beaucoup plus approximatif. Bien que l’imaginaire de l’individu questionné tentera d’établir une échelle afin de visualiser le tout, il est en fait impossible à l’être humain de réellement apprécier de telles dimensions, de telles distances; c’est au-delà des capacités de notre espèce.
Il en est de même lorsque l’on tente de se prononcer sur les activités d’une entreprise comptant plusieurs centaines d’employés ou encore de porter un jugement sur un produit dont la durée des efforts nécessaires à sa conception se calcule en centaines d’années-hommes; la simplification requise tente de ramener le tout à une échelle humaine et empêche toute appréciation objective.
Un Sport d’équipe
Toute entreprise digne de ce nom doit suivre une vision, un plan précis afin de pouvoir espérer atteindre les objectifs que ses dirigeants se sont fixés afin de transformer cette vision en réalité.
Bien que cette vision puisse être issue de l’esprit d’un ou d’une visionnaire unique, l’exécution du plan, quant à elle, ne repose jamais sur les efforts d’une seule personne : ce type de pensée relève de la science-fiction.
La tâche d’un leader sera donc en premier lieu de faire comprendre cette vision aux équipes de direction afin de générer un réel enthousiasme auprès de ceux-ci. La logique veut qu’un leader réellement convaincu des bienfaits d’une telle manœuvre répandra naturellement enthousiasme et productivité aux équipes relevant de sa responsabilité. L’esprit compétitif qui habite la plupart des dirigeants d’entreprise et ceux qui aspirent à leurs postes sera alors mis à l’épreuve.
Sans l’apport de chacun d’eux, sans l’effort soutenu, calibré et chirurgical de chaque département sous leur responsabilité, l’enthousiasme qui porte le projet risque de s’essouffler quitte à éventuellement disparaître complètement en cours de route pour laisser place à la facilité du cynisme.
L’esprit de compétition qui habite les employés et cadres doit être mis au service de l’entreprise et non des individus. En effet, percevant un avantage pour eux, les carriéristes plus affamés risquent de profiter de cette effervescence globale afin de se réapproprier la productivité qui en découle pour la rediriger vers l’atteinte de leurs objectifs personnels. D’autres n’hésiterons pas à s’attribuer le mérite d’un succès avec lequel ils n’ont pas grand-chose à voir. Dans ces cas précis, l’échec devient une réelle possibilité et bien qu’on pourrait être tenté d’attribuer celui-ci à l’individu cupide, en bout de ligne, c’est l’entreprise entière qui sera soumise aux conséquences de ce manque de vigilance de la part des décideurs. Il faut donc implanter un système de gestion et de chien de garde pour assurer que l’entreprise et tout ceux qui y oeuvrent gardent le cap vers un objectif commun. Un intervenant cumulant plusieurs années d’expérience en observation des moeurs humaines en milieu de travail sera en mesure d’adresser les situations problématique avant même qu’elles n’éclatent, ce qui causerait sans doutes des dommages bien réels et très difficiles à prévoir.
Une fois les dirigeants convaincus et excités par le défi présenté par l’accomplissement de cette vision, chacun devra savoir transmettre cet enthousiasme aux départements et employés qui tombent sous leur responsabilité propre. Bien qu’il est illusoire d’espérer que chaque employé deviennent soudainement passionné par le projet, un enthousiasme global reste souhaitable et deviendra même un élément absolument crucial au succès de l’opération.
Le Partage des Richesses
Outre le biais cognitif qui mène plusieurs à glorifier des individus, il arrive parfois qu’à l’interne, ce soit un département particulier qui se voit récompensé ou adulé de la sorte.
Bien que la reconnaissance de l’entreprise envers certains de ses départements soit tout à fait louable, cette approche, spécifiquement lors d’un processus de changement majeur, risque d’avoir l’effet contraire à celui espéré et pourrait même aider à creuser des tranchées inter-départementales. Ces prises de position deviennent beaucoup plus difficiles à décortiquer simplement dû au nombre d’employés impliqués directement par de tels conflits.
Réorienter un département ainsi compromis s’avère être une tâche colossale et les racines du problème risquent d’être très difficiles à identifier. En effet, si cette rivalité émane d’un sentiment général au sein des employés, par où doit-on attaquer un problème aussi systémique? La motivation et les exercices visant à rassembler les troupes n’auront qu’un effet de surface lorsque le cœur même de la force de travail est affecté de la sorte.
Sabotage, jalousie et une loyauté aveugle envers certains dirigeants dissidents ne feront qu’envenimer une situation déjà fragile. Dans les pires cas, l’opération de changement en entier devra être revue et corrigée à tous les niveaux. Certains employés ayant contribué activement à cet échec pourront même percevoir ceci comme une victoire, résultat d’une attitude décidément individualiste et contre-productive. Il est clair que ceux qui démontreront leur fierté face à cette négativité auront sans doutes détourné leur sentiment d’appartenance vers certains de leurs gestionnaires ou collègues, formant ainsi des cliques au sein du groupe. La formation de tels groupuscules annonce souvent que le message initial n’a soit pas été bien communiqué ou encore qu’un faux-pas est survenu en cours de route.
Blâmer les dissidents ne règle jamais de telles situations et une refonte du processus entier devra probablement être envisagée. Dans ces cas extrêmes, le temps est souvent compté et un tel échec peut signifier la descente rapide aux enfers pour l’entreprise en entier.
Conclusion
Afin de s’assurer un maximum de chances de succès, l’entreprise doit faire appel aux services de professionnels qui sauront juger correctement la perception du public et des employés envers le changement proposé. Une stratégie de communication adéquate et un suivi serré, idéalement fourni par un parti tiers à l’entreprise, pourra permettre la mise en œuvre d’un plan efficace en plus d’y apporter les corrections nécessaires de façon rapide et précise, à mesure que celles-ci seront requises.
Trop d’entreprises arrivent à mettre en œuvre un plan qui peut sembler infaillible sur papier, pour ensuite se confronter à la réalité telle que perçue par les intervenants de toutes parts.
Il ne s’agit donc pas de tenter de convaincre ceux qui doutent, mais de simplement leur permettre de saisir la pertinence des changements tout en les informant du biais perceptuel qui habite chacun d’entre nous.