À court de personnel

* Sarah Licha est fondatrice et PDG d’Espace RH inc. Elle se spécialise dans la gestion du changement et le conseil stratégique du capital humain (sarah@espacerh.com ou www.espacerh.com). Simon Lamoureux est auteur et créateur de contenu, partenaire d’Espace RH inc. (simon@espacerh.com).

Résumé

Les auteurs s’intéressent ici au quotidien de ceux qui demeurent employés lorsqu’une entreprise se trouve à court de personnel. Lorsque certains postes-clés restent vacants, les survivants devront se débrouiller comme ils le pourront, en faisant bon usage de leur créativité afin de survivre à cette période critique.

Introduction

Une tour composée de briques de bois se dresse entre deux adversaires. Un après l’autre, ils devront stratégiquement retirer ces briques une à la fois de façon à éviter que la tour ne s’écroule. Ce jeu célèbre illustre à la perfection la précarité de la situation dans laquelle se trouve une entreprise à court de personnel : relever ce défi requiert de la part des gestionnaires une créativité et un instinct hors-pair.

Ne sachant pas ce que l’avenir leur réserve, les employés restants, affairés à maintenir cette structure squelettique à flot méritent que leur quotidien soit raconté, ne serait-ce qu’afin de permettre aux lecteurs de reconnaître ces situations et de faire des choix éclairés lorsqu’ils y seront confrontés.

Une structure morcelée

Gérer le départ d’employés n’est jamais facile. Ceux-ci laissent derrière eux un vide qui sera, dans la plupart des cas, difficile à combler de manière convenable ou du moins, dans des délais raisonnables.

Parfois, le niveau de spécialisation du poste laissé ainsi vacant obligera les autres employés à manœuvrer pendant un certain temps de manière à contourner ce vide en attendant de pourvoir celui-ci de manière adéquate.

Bien que le problème aie des répercussions sur l’ensemble du personnel, sa résolution implique de manière directe ceux qui occupent les postes se situant directement en aval et en amont du poste à combler. Un pont devra alors être bâti afin de diviser la tâche entre ces deux parties, chacun devant en faire un peu plus que leur charge de travail habituelle afin de compenser pour le chaînon manquant.

Les habitudes de travail ainsi développées risquent de rapidement se fondre dans la routine du quotidien des travailleurs concernés. En effet, si l’entreprise arrive malgré tout à atteindre ses buts sans trop imposer d’inconfort à ses employés, pourquoi s’en préoccuper davantage? Si le poste vacant est si facilement remplacé en redistribuant les tâches qui le compose, pourquoi ne pas simplement l’abolir?

Dans certains cas exceptionnels, cette conclusion peut s’avérer être la bonne. Il serait alors judicieux de réévaluer la structure opérationnelle de l’entreprise et les descriptions de postes qui seront transformés par cette redistribution des tâches.

Par contre, dans la grande majorité des cas, l’abolition du poste est loin d’être une solution envisageable. Les mesures d’urgence qui permettent à l’entreprise de poursuivre ses opérations le temps de combler le poste vacant ne devraient être que temporaires; les problèmes liés à l’adoption à long terme de ces raccourcis se décupleront de manière insidieuse pour resurgir tôt ou tard, forçant une réévaluation de la structure de l’entreprise qui aurait pu être évitée.

Le jeu dangereux des faux raccourcis

Lors de telles situations, l’employeur n’a souvent plus le temps ou les ressources qui permettent le maintien du respect des procédures en place telles qu’elles sont indiquées dans un plan précis comme celui ébauché à l’issue d’un exercice d’équité salariale, par exemple.

Lorsqu’un gestionnaire doit faire le choix des procédures et processus à couper dans une structure déjà compromise, ceux qui ont des répercussions légales seront habituellement traités en priorité et respectés. Tout dépendant de la gravité de la situation, il n’est pas impossible que même ces procédés cruciaux ne soient que survolés afin d’accommoder la réalité opérationnelle à laquelle doit faire face l’entreprise qui doit composer avec une réduction d’effectifs. Les gestionnaires qui optent pour cette solution le font seulement en dernier recours, sachant qu’il s’agit d’un pari risqué que d’agir de la sorte.

Dans le meilleur des cas c’est lors d’inspections en règle que ces raccourcis risquent de coûter cher à l’entrepreneur, non seulement en termes de possibles amendes pécuniaires mais aussi au niveau des relations publiques de l’entreprise. En fait, la découverte de manquements de la sorte est souvent à l’origine des scandales médiatiques qui détruisent la réputation d’entreprises. Lorsqu’ils sont exposés au grand jour, ces raccourcis peuvent mener à la perte de contrats, à l’érosion de la confiance des consommateurs ou même de celle des investisseurs ou d’actionnaires qui n’aiment pas l’idée que leurs noms soient associés à de tels comportements.

Dans le pire des cas, ces manquements auront des répercussions directes sur les clients ou partenaires de l’entreprise. De tels affronts sont rarement pardonnés.

La perfection n’est pas de ce monde

Prenons en exemple un professionnel cumulant les doctorats en science informatique. Certaines méthodes et techniques, bien qu’elles permettent d’obtenir des résultats concrets et appréciables lors de leur application, seront au contraire ridiculisées et souvent même citées à titre de mauvais exemple par ce dernier. Aux yeux de l’expert, l’élégance des algorithmes se situe au-dessus de toutes autres priorités lors de la conception de systèmes informatiques.

En fait, dans l’application pratique des sciences informatiques, les limites pratiques au niveau du temps et des ressources font en sorte que la solution choisie soit celle qui puisse être appliquée le plus rapidement et non celle qui s’avère être la plus scientifiquement élégante. Bien que les théoriciens du domaine pourraient facilement passer des heures à débattre des bienfaits d’une alternative vis-à-vis d’une autre, il s’agit en fait d’un luxe que peu d’entreprises peuvent se permettre car la réalité des opérations quotidiennes reste en grande partie assujetties aux contraintes du cycle de production; ça doit fonctionner, maintenant.

Dans le même ordre d’idée, bien que les paramètres d’expérience et de compétence d’un poste puissent avoir été défini avec précision, rien ne garantit qu’un candidat répondant exactement à ces exigences existe ou soit trouvé à temps. C’est alors que l’instinct des entrepreneurs entre en ligne de compte, devant changer leurs plans ou repousser la faisabilité de certains objectifs qui sont dépendants de cette embauche bien précise.

Dans les deux cas, il faut savoir trouver l’équilibre entre le perfectionnisme et la réalité telle qu’elle se présente.

Conclusion

La réalité des spécialistes en ressources humaines dépasse souvent la rigidité mathématique des plans d’affaires, processus et procédures qui définissent les activités de l’entreprise. Négliger l’instinct et l’empathie constitue une faute majeure dont les conséquences négatives ne seront qu’exponentielles en temps de crise.