Informatique langue commune

* Sarah Licha est fondatrice et PDG d’Espace RH inc. Elle se spécialise dans la gestion du changement et le conseil stratégique du capital humain (sarah@espacerh.com ou espacerh.com). Simon Lamoureux est auteur et créateur de contenu, partenaire d’Espace RH inc).

Résumé

Les co-auteurs s’intéressent à l’évolution du langage, telle que forcée par l’intrusion du numérique au cœur des vies de tous et se posent la question : à quel point les relations humaines sont influencées par ce que la technologie permets ou facilite.

Introduction

Au fil des multiples révolutions qui marquèrent les années 1990, l’informatique s’est taillée une place de choix au sein de nos vies, marquant ainsi nos premiers pas dans l’ère moderne de l’information.

Cette décennie, ayant clos un siècle auquel elle fît écho, aura prouvé judicieux l’effort que les gouvernements de l’époque auront mis à faciliter un accès aux ordinateurs et réseaux numériques aux citoyens les ayant élus. Cette initiative changea notre rapport au monde, à l’autre, à l’information et même à l’argent. L’industrie, la science, et la communication furent alors catapultées dans une ère nouvelle, riche en erreurs qui restaient à découvrir sur le parcours de cette quête de modernité.

Bien que les Anglais bénéficièrent d’un tel programme d’accès aux familles 15 ans avant nos sociétés occidentales, nous pouvons aujourd’hui affirmer que tous les pays, des plus riches super-puissances aux démocraties embryonnaires des pays autrefois qualifiés de tiers se sont mis au pas de la technologie, pour le meilleur et pour le pire.

Or, cette ubiquité ne peut faire autrement que de profondément altérer les hôtes de ce parasite sommes toutes bien utile. Nous visons tous un monde où cette technologie nous permettra de mieux cohabiter, mais révéler une telle lumière est impossible sans aussi révéler une part d’ombre toute aussi puissante.

Cette transition nous affecte tous à divers niveaux, mais de quelles manières au juste?

Solitudes multiples

La mondialisation a eu bien des effets sur notre espèce. Lorsqu’on compare les goûts musicaux, vestimentaires ou ceux liés au divertissement de toutes sortes, force est d’admettre que les adolescents de tous les pays sont avant tout des citoyens numériques, soumis aux mêmes codes, aux mêmes modes et partageant une conception du monde qui est commune à leurs pairs issus d’autres continents.

Dans un tel contexte, les qualités des origines ethniques, culturelles et religieuses de chacun prendront souvent un rôle de second plan vis-à-vis du culte de l’individualisme partagé que prônent ces technologies et les systèmes qui en découlent. Ces siècles d‘héritage se verront simplifiés et transformés en saveur qui viendra ajouter un goût exotique au bouillon issu de ce choc culturel à grande échelle. À ce niveau, les spécificités de chacun sont à la fois renforcées et amoindries : l’individu est spécial et unique, tout comme son prochain. La culture et l’identité se voient donc naturellement transformées, soumis à ce nouvel équilibre mondial.

Cette néo-tribu, tissée à même les signaux parcourant la planète à la vitesse de la lumière, malgré une convergence vers une culture standardisée et globale, définira les règles des écosystèmes technologiques où elle évolue. Bien au-delà de simples goûts et attraits culturels, la maîtrise des outils proposés par le médium favorise la transformation immédiate de celui-ci par tous ceux qui y interagissent.

C’est donc le « bien commun » qui devient un peu plus tangible, représentant un système qui représente l’apport de chacun, dans ses interactions les plus anodines comme dans ses choix les plus importants. Inquiétant pour plusieurs, il serait naïf de croire que cette révolution n’apporte que du bon; de tels systèmes ont déjà prouvé à quel point ils peuvent être proie à la censure et aux intérêts commerciaux des plus cupides.

S’ouvrir au monde

Habitués à consommer l’information à la minute même où les événements surviennent, les usagers des technologies d’information modernes ne peuvent cacher leur rapport étroit à ce mode de diffusion de l’information. Étant donné que tout fonctionne par recommandation ou vote de popularité, les individus, sans s’en rendre compte, vont tenter de toutes les manières, dès que l’occasion se présente, de commenter la nouvelle de façon sarcastique ou de se présenter de manière à ne pouvoir être critiqué, question de marquer des points dans une quête infinie vers un statut social qui n’existe pas vraiment.

Une conversation Twitter, par exemple, comporte ses propres codes et fût à l’origine de plusieurs styles d’humour qui ne font sens qu’aux confins de cette plate-forme bien spécifique. Considérant la portée ahurissante qu’à une application comme Twitter, les plus habitués vont rapidement adhérer à ce style d’humour et n’hésiteront pas à partager avec le plus de gens possible, de par la nature même du service qui promeut les gazouillis. Cette dénaturation du contenu et la manière dont il est transformé, puis présenté porte un affront clair aux normes établies de journalisme et de protocole; tout dialogue suivant ses codes ne fera aucun sens aux non-initiés, creusant le gouffre les séparant de ceux s’y soumettant et ainsi favorisant la montée de camps opposés, par simple malentendu.

Les remarques anodines que plusieurs se permettent de faire dans la vie de tous les jours se retrouvent également exposées au grand public. Cette ouverture démontre la raison d’être d’un discours plus affiné lors de communications de masse, que ce soit virtuellement où sur les lieux du travail.

Un exemple souvent cité par les dénonciateurs de ce comportement place la scène dans un restaurant où tous ceux qui partagent une même table se retrouvent le nez fourré dans leur appareil mobile personnel au lieu de dialoguer avec les gens autour d’eux. Est-ce un manque de respect ou est-ce plutôt une indication des réels désirs de ces usagers?

Bien au-delà des pratiques courantes et interactions sociales, la langue d’usage se voit aussi transformée par ces nouvelles façons de faire. Le fameux Lol (Laugh Out Loud) a remplacé pour plusieurs un simple rire poli dans leurs communications verbales et l’abréviation « omg » (Oh My God) s’est insinuée dans toutes les langues. Si bien que si on prend la peine d’écouter des conversations en langues étrangères autour de nous, il peut-être révélateur qu’une bonne portion du discours soit parfaitement compréhensible par tous ceux qui sont familiers avec les termes et expressions qui se trouvent au cœur de nos conversations numériques.

Imaginez alors un être qui s’exprime de manière spontanée être confrontés aux règles et façons de faire d’une entreprise. L’attitude de ce-dernier risque de nécessiter un ajustement afin de pouvoir évoluer au sein d’une entreprise où l’interaction avec collègues est nécessaire.

Tous techniciens

À mesure que le système se développe et se raffine, il se complexifie, masquant ainsi ses rouages, trop complexes pour être compris par tous les usagers. Cette problématique impose une confiance aveugle au système et diminue le rôle de ceux qui l’utilise dans sa construction et sa régulation.

Tous deviennent techniciens, laissant la maintenance aux professionnels du milieu afin de pouvoir se concentrer sur ses propres tâches pour un maximum d’efficacité. Le paradoxe se pose alors qu’on gagne en efficacité, en perdant une réelle compréhension du médium qui permet de faire son travail. Dans ce scénario, on se trouve soumis au bon vouloir de ceux qui savent comment utiliser ces systèmes.

Il n’est donc pas impensable que malgré la connaissance technologique des plus avisés, d’ici quelques années, les systèmes intégrés se se géreront automatiquement, sans que l’humain n’aie à intervenir et que cette technologie redevienne aussi mystique et inscrutable que la magie des contes.

Conclusion

Plus le temps continue d’avancer, plus ceux qui s’opposaient à l’usage des technologies modernes, restant obstinément ancrés dans l’ancien système, quittent doucement les rangs de la population active.

C’est alors que ces technologies peuvent s’épanouir à la hauteur des idéaux sur lesquels elles furent fondées. Jouissant d’un auditoire d’usagers habiles, éduqués et tournés vers l’avenir, les obstacles des premiers balbutiements de cette nouvelle ère s’estompent et révèlent de nouveaux rêves se trouvant soudainement à la portée de l’humanité tout entière.

Le plus dur est passé, l’informatique est désormais une langue commune.