Intelligence artificielle et le marché du travail de demain

* Sarah Licha est fondatrice et PDG d’Espace RH inc. Elle se spécialise dans la gestion du changement et le conseil stratégique du capital humain (sarah@espacerh.com ou www.espacerh.com). Simon Lamoureux est auteur et créateur de contenu, partenaire d’Espace RH inc. (simon@espacerh.com).

Résumé

Les auteurs se permettent ici de rêver à un avenir rapproché où l’intelligence artificielle aura transformé pour de bon le quotidien des travailleurs et des entreprises. Des scénarios réalistes seront établis, illustrant diverses facettes du marché du travail afin de permettre au lecteur de pousser sa réflexion au-delà des concepts de productivité et d’appartenance tels qu’on les connais aujourd’hui.

Introduction

Les avancées fulgurantes de la technologie au cours des dernières années permirent à la société de se métamorphoser afin de passer à l’ère de l’information, ancrant ainsi fermement la place des ordinateurs au sein du quotidien de tous et chacun.

Certains aspects de notre société sont déjà gouvernés par des processus qui repoussent les limites du possible; à titre d’exemple, nous n’avons qu’à penser à la prolifération des drones ou encore aux avancées fulgurantes des divers projets de voitures sans conducteur. Bien que les plus pessimistes ne tarderont pas à nous rappeler les quelques accidents causés par ces véhicules automatisés, ces anecdotes pèsent en fait bien peu dans la balance; l’intelligence artificielle fait désormais partie de nos vies.

Outre une réinvention de nos moyens de transport et de nos gadgets technos, l’intelligence artificielle (IA) viendra également transformer notre rapport au travail.

Une mer de données

L’intelligence artificielle existe depuis plusieurs décennies mais avait jusqu’alors une portée très limitée; cette technologie était encore, jusqu’à tout récemment, condamnée aux confins de l’imaginaire des auteurs de science-fiction.

De plus, les applications pratiques potentielles de cette discipline n’avait d’intérêt que pour quelques passionnés issus de la communauté scientifique. L’intelligence artificielle demeurait toutefois hors de portée du grand public, outre quelques percées expérimentales plutôt divertissantes, notamment dans le domaine des jeux vidéos.

C’est lorsqu’on lui donna accès aux bases de données gigantesques de l’ère moderne, celles que les grandes entreprises ont bâties en étudiant le comportement des utilisateurs de leurs produits, que le potentiel de l’intelligence artificielle se décupla de manière exponentielle.

Pour avoir une bonne idée de l’impact bien réel que l’usage des données de consommation des internautes a pu avoir sur notre monde, prenons simplement l’exemple de la dernière élection présidentielle américaine ou du Brexit de nos amis Anglais. Dans les deux cas, les architectes de ces mouvements politiques ont analysé le comportement des électeurs afin de bâtir une campagne de communication qui, bien qu’elle ai créée plusieurs divisions, permit à ses instigateurs d’obtenir tout de même le résultat escompté.

L’analyse d’une telle quantité de données ainsi que les prévisions qui en découlent n’auraient pu être faites sans la puissance et l’efficacité d’une intelligence artificielle moderne.

Au-delà de l’humain

Hors les habitudes des individus, c’est notre approche à tous les domaines qui doit ainsi être réinventée. Dans le domaine de la santé mentale, par exemple, plus de 3000 nouvelles publications scientifiques sont publiées à chaque jour. En moyenne, ces données ne sont appliquées cliniquement que 17 ans après publication. Les enjeux liés à la santé mentale prennent une place de plus en plus importante dans notre société et la situation se complexifie de jour en jour. Comment réduire cet écart monstrueux entre les besoins pressants d’une société en crise et cette lenteur d’accès à une information qui pourrait s’avérer potentiellement salvatrice?

Une solution prometteuse consiste à analyser et catégoriser cette quantité virtuellement intraitable de nouvelles données à l’aide d’une intelligence artificielle. Tout le travail d’analyse et de synthèse se fait automatiquement et les intervenants en santé mentale n’ont qu’à consulter une application ou un site web qui leur fournira sur demande l’information pertinente à la situation qui leur pose problème.[1]

Hors des milieux spécialisés, l’intelligence artificielle se démocratise. La technologie permettant de telles analyses sera bientôt accessible à tous, à travers la distribution info-nuagique. Les entreprises de demain n’auront pas à investir en recherche ou en développement afin de bénéficier de ce net avantage compétitif; ils pourront simplement se payer les services d’une intelligence artificielle et lui soumettre les données requises afin qu’elle puisse optimiser l’ensemble de ses opérations de manière réaliste et efficace.

Tout ce processus pourra être mené à terme de façon presque instantanée, faisant ainsi passer les délais habituels liés à la planification et aux études de marché de quelques mois à quelques jours tout au plus.

Transformer une idée en proposition d’affaire risque bientôt de ne devenir qu’une simple formalité.

L’obsolescence du gestionnaire

Tout comme l’intelligence artificielle, les gestionnaires raffolent de données et de statistiques. Cependant, toute entreprise a déjà fait face aux contrecoups d’une gestion maladroite ou déficiente. Outre les problèmes de communication, dans la plupart des cas la source de ces problèmes peut être retracée jusqu’à certains gestionnaires inexpérimentés, incompétents ou carrément malhonnêtes. Peu importe la cause, ces situations pourraient être évitées en se tournant plutôt vers une intelligence artificielle spécialisée en organisation de tâches.

Assumant que celle-ci puisse établir des échéanciers et budgets tout en respectant une marge d’erreur réaliste, une intelligence artificielle munie de systèmes de suivi efficaces pourrait rapidement éliminer le poste de gestionnaire tel qu’on le connaît aujourd’hui. Devenant simples exécutants des stratégies proposées par l’IA, les gestionnaires pourraient alors se concentrer sur l’aspect humain de la gestion de projets, domaine qui reste encore hors de portée de la logique implacable des machines. En étant ainsi libérés, le rôle du gestionnaire de demain ne ressemblera en rien à ce qu’il est aujourd’hui : ses tâches s’orienteront vers une approche plus humaine, traduisant la réalité quotidienne des employés en données que l’IA pourra alors intégrer à ses modèles afin de modifier les échéanciers et prévisions de l’entreprise à la lumière de ces fluctuations inévitables.

Problèmes de corruption, élans de mégalomanie (« power trips »), écarts de conduites, attentes irréalistes : l’usage d’intelligence artificielle en gestion fera en sorte que les côtés sombres de la profession de gestionnaire s’estomperont tout en permettant une meilleure efficacité à tous les niveaux de l’entreprise.

L’avenir du service à la clientèle

Nous avons tous eu affaire, à un moment ou à un autre, à un service à la clientèle déficient. Parfois, c’est le facteur humain qui échoue : bien que les travailleurs de ce domaine bénéficient déjà de bases de données leur permettant de prévoir certaines situations ou de répondre à des questions pour lesquelles ils n’ont pas nécessairement les réponses, tout s’effondre souvent lors de communications inter-départementales. Quand ce n’est pas ces erreurs humaines qui sont en cause, c’est souvent un système de reconnaissance vocale sur-informatisé qui fera perdre patience aux clients les plus aguerris.

L’IA, en plus de fournir de meilleures pistes de solutions aux employés inexpérimentés, pourra immédiatement analyser et corriger les erreurs de procédures de ceux-ci de manière beaucoup plus rapide et précise que ne pourrait le faire un gestionnaire ou une équipe de formation. Au lieu de compiler les erreurs commises afin de créer des modules de formation généralisés, c’est un suivi constant et personnalisé qui pourra être fait, permettant une amélioration plus rapide des employés et assurant du même coup des standards élevés au niveau du service offert aux clients et de la satisfaction de ceux-ci.

De plus, l’IA pourra également gérer certains aspects de la répartition d’appels afin d’assigner certains profils de clients, ceux qui se montrent plus impatients, par exemple, à des agents formés en conséquence. Une meilleure répartition permettrait également d’acheminer les appels immédiatement au bon endroit, évitant ainsi aux plus impatients d’avoir à traverser des menus téléphoniques labyrinthiques.

En plus d’un service téléphonique ou de clavardage, une intelligence artificielle suffisamment sophistiquée pourrait prêter une aide personnalisée directement aux clients à travers une application ou un site web, permettant ainsi de prendre en charge une certaine portion de l’achalandage sans ajouter à la charge de travail des employés. Un tel système donnant des résultats efficaces contribuerait également à la fidélisation de la clientèle. En autant que les résultats soient au rendez-vous, ces clients ne voudront plus jamais retourner à un service à la clientèle qui ne bénéficie pas du soutien d’une intelligence artificielle.

Conclusion

Ces changements d’approches doivent passer le test ultime, c’est à dire qu’ils devront produire des résultats concrets qui feront l’envie des compétiteurs et le bonheur des clients. Une fois cette course entamée, c’est à une réelle révolution du marché du travail que nous devront faire face.

Une approche balancée à l’usage de l’IA fera en sorte que le succès des entreprises reposera plus que jamais sur l’aspect humain du travail et nécessitera le soutien d’un service de ressources humaines de haut niveau afin d’atteindre les sommets escomptés.


[1]     Cette technologie fut perfectionnée par Myelin, entreprise québécoise en intelligence artificielle et en santé mentale. https://www.myelin.ca/