La CNESST : gestion de risque

* Sarah Licha est fondatrice et PDG d’Espace RH inc. Elle se spécialise dans la gestion du changement et le conseil stratégique du capital humain (sarah@espacerh.com ou www.espacerh.com). Simon Lamoureux est auteur et créateur de contenu, partenaire d’Espace RH inc. (simon@espacerh.com).

Résumé

Les auteurs abordent les mythes et raccourcis qui existent dans l’interaction nécessaire entre employeurs et la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail(CNESST).

Le but de l’exercice étant d’inculquer une meilleure compréhension des services offerts par la Commission aux travailleurs qui ne s’y intéresse que trop tard, à la suite d’événements qui auraient souvent pu être évités.

Introduction

L’entrepreneur est avant tout preneur de risque. L’esprit d’aventure qui habite ces hommes et femmes d’affaires penche naturellement du côté de la rapidité d’exécution plutôt que de favoriser prudence et rigueur.

De tous temps, le monde des affaires est prisonnier de cette danse éternelle entre innovation et régulation, où les mieux intentionnés doivent parfois fermer les yeux sur certains passe-droits afin de profiter d’opportunités d’affaires qu’ils auront jugé incontournables.

Or, cet esprit d’aventure nous habite tous à différents degrés. De l’ouvrier au PDG, il existe certaines situations où l’instinct se mêlera à la suffisance d’un égo mal apprivoisé, de façon à prendre le dessus sur les règles conventionnelles, justifié par l’expérience de vie de l’individu en question.

Peu importe où il se trouve, l’être humain a une relation particulière au danger; c’est pourquoi la CNESST s’impose, pour le meilleur et pour le pire, comme une nécessité.

Gérer le risque

Dans le ballet de prise de risques contrôlés qu’est l’entreprenariat, la CNESST est souvent perçue comme un outil de nature castratrice, un frein au développement d’entreprises. Cette attitude illustre parfaitement le paradoxe qui se trouve au centre même du concept de prévention, que ce soit dans le contexte d’un environnement de travail ou non : la prudence et la précaution ne fonctionnent que lorsqu’elles sont appliquées avant qu’un événement fâcheux ne survienne.

Lorsque le vent de la chance vient gonfler les voiles des plus entreprenants, leur permettant d’éviter les écueils sans efforts, une logique d’invincibilité ne tarde pas à s’installer.

Pourquoi prévenir alors que le résultat fût atteint maintes fois, sans aucune embûche?

Pourtant, la réalité et l’attitude de l’individu qui n’aura pas eu cette chance est toute autre. Le doute, éternel ennemi du momentum, viendra assombrir la prise de décision de l’individu concerné. Dans la plupart des cas, l’exemple vécu personnellement forcera l’individu à la prudence.

Malheureusement, lorsque l’exemple vient d’autrui, le réflexe est souvent celui de la suffisance. Aveuglés par l’égo, certains ne tarderont pas à souligner leur fausse supériorité en prenant leurs distances de la situation et en jetant le blâme sur la victime. « C’est de sa faute, il/elle n’avait qu’à faire plus attention. ».

Bien que caricaturales, ces situations extrêmes continuent de survenir jour après jour.

Bouts de chandelles

Bien au-delà de protéger l’entreprise de poursuites judiciaires ou le personnel de celle-ci d’événements traumatiques, la portée des diverses mesures de la CNESST touche la vie de tous travailleurs de manière souvent insoupçonnée.

Lorsqu’un employé se blesse au travail, il est crucial que les recommandations de la CNESST soient respectées à la lettre. En fait, plusieurs employeurs n’ont pas les connaissances requises afin de juger de l’aptitude d’un employé à s’acquitter de certaines tâches lorsque la blessure en question est invisible à l’oeil nu.

Certaines blessures, particulièrement au dos, peuvent limiter les tâches dont peut s’acquitter l’employé blessé et il est très important que dans ce genre de situation, l’employeur démontre une confiance absolue envers les médecins et thérapeutes qui encadreront le rétablissement de l’employé.

Pour un employé qui ne possède pas de formation académique de haut niveau, par exemple, le travail physique se retrouvera plus souvent qu’autrement au cœur des activités liées aux emplois qui parsèmeront le cours de sa carrière. Il est donc impératif pour ces ouvriers de prendre toutes les mesures nécessaires afin de préserver leurs capacités physiques le plus longtemps possible.

Suite à une blessure survenue dans le contexte de son emploi, l’employé, dépendamment de la sévérité de la blessure, pourra être contraint à rester à la maison et à suivre certaines thérapies physiques afin de rétablir sa condition en mettant toutes les chances de son côté.

Certains employeurs demeureront malheureusement obstinés et imposeront aux employés ainsi blessés des travaux légers correspondant à leur propre interprétation du diagnostic, qui vont souvent à l’encontre des traitements prescrits. Il est important de relever que cette attitude n’est pas nécessairement malicieuse. En effet, les tâches requises par  un emploi exigeant sur le plan de l’effort physique ne correspondront pas nécessairement aux recommandations des thérapeutes. L’employeur se trouve alors avec un dilemme : Soit on attribue quelques tâches superflues à l’employé blessé, question de l’occuper, soit on retourne celui-ci à la maison devant l’impossibilité de trouver des tâches qui lui sont appropriées.

Lorsque l’employeur laisse son instinct prendre cette décision importante, il se peut que les tâches ainsi choisies viennent complètement saboter le rétablissement de l’employé en échange d’un gain de productivité temporaire et négligeable. Un arrêt de travail de quelques jours ou semaines sera alors prolongé et l’entreprise se retrouvera avec un employé qui ne peut travailler mais qui ne peut être congédié sans quelques acrobaties administratives.

Dans le cas où l’employeur ne peut offrir d’emploi à l’employé qui s’est blessé au travail, la CNESST doit alors identifier des emplois disponibles qui conviendront à la nouvelle réalité du travailleur.

Au sortir de ce scénario, l’employé devra réorienter sa carrière car l’effort physique qui se trouvait à la base de ses aptitudes sera dorénavant impossible. Envisager un retour sur les bancs d’écoles ou un changement de cap total s’avère impossible pour certains. Dans le pire des cas, la CNESST versera une indemnité à la victime, modulée selon l’âge et la sévérité (calculée en pourcentage d’atteinte).

Ce scénario n’est pas aussi rare qu’on puisse penser et chamboule la vie de travailleurs de manière irréversible.

Sous cette optique, l’employeur consciencieux doit toujours garder en tête la question : est-ce que le jeu en vaut vraiment la chandelle?

Sécurité garantie

Lorsqu’une cause impliquant la CNESST se trouve portée au tribunal, l’entreprise se trouve souvent par défaut au banc des accusés. Il est donc normal que toute grande entreprise fasse appel à des firmes d’avocats spécialisés, érudits des rouages du système de la CNESST.

Grâce à cette collaboration, plusieurs causes non-fondées peuvent être rapidement écartées afin d’éviter  une lourdeur administrative qui ralentit les entreprises les plus actives.

Par contre, cet acte de délégation vient modifier l’opinion de gestionnaires, qui associeront sans doute « CNESST » à « problème ». Cette disposition a pour effet de semer une certaine méfiance dès qu’il est fait mention de la Commission. Le discours va souvent se transformer jusqu’à l’accusation de facto de quiconque se plaint des conditions de sécurité au travail; un mauvais réflexe qui ne devrait jamais être présent lors de relations professionnelles.

Conclusion

Les règles ainsi établies peuvent sembler surprotectrices pour certains mais restent d’excellent outils qui peuvent être utilisés aussi bien au travail que dans la vie de tous les jours. La performance doit être modulée par la prudence sans quoi la CNESST devra imposer des mesures de vérifications de plus en plus pointues, imbriquée au sein même des prises de décisions des entreprises qui croient justifié de jouer avec la vie des ses employés.