La survie des RH

* Sarah Licha est fondatrice et PDG d’Espace RH inc. Elle se spécialise dans la gestion du changement et le conseil stratégique du capital humain (sarah@espacerh.com ou www.espacerh.com). Simon Lamoureux est auteur et créateur de contenu, partenaire d’Espace RH inc. (simon@espacerh.com).

Résumé

Les co-auteurs imposent ici une prise de conscience aux spécialistes en ressources humaines quant à l’avenir de leur profession. Ils exploreront quelques scénarios typiques qui contribuent à la nécessité de repenser le domaine des ressources humaines.

Introduction

I- La démocratisation du savoir

Un service de ressources humaines compétent assure que les employés soient traités de façon juste et équitable en tous points, aient droit à un système d’assurance collective décent et restent correctement informés grâce à un maniement cohérent et respectueux des communications, que ce soit au niveau du dialogue entre patrons et employés, des communications à l’interne ou même de l’image que l’entreprise désire projeter.

Outre ce mandat qu’on pourrait qualifier d’administratif, le volet humain de ce domaine laisse aussi une grande place à l’instinct et au ressenti, ce qui constitue un des paradoxes qui se trouvent au centre de la question.

Bien que la science de l’embauche et des meilleures pratiques à appliquer en entreprenariat ne cesse d’atteindre de nouveaux sommets, cette information est démocratisée et disponible aux curieux, qu’ils soient spécialistes du domaine ou non. Les plus zélés ne se gêneront donc pas pour questionner la justification de certaines décisions ou approches.

Face à ces questionnements, des réponses expéditives démontrant une finalité et une fermeture au dialogue vont donner l’avantage à l’adversaire mais une ouverture totale à toute suggestion proposée mènera étrangement au même résultat; le spécialiste doit être en mesure de justifier les décisions de manière logique et honnête et doit démontrer une compréhension absolue et exhaustive des enjeux auxquels fait face l’entreprise sans quoi, il perdra la confiance des employés ou pire, celle de l’employeur. Tout en tendant l’oreille aux suggestions constructives, l’hésitation et l’improvisation ne feront qu’empirer les choses.

Pour les spécialistes RH les plus expérimentés, cette confrontation amicale fait partie de leur travail quotidien. L’autorité que ces agents seniors représentent est méritée, basée sur un respect de leur statut d’expert cultivé au cours des années et mis au défi de temps à autres.

Pour ceux qui sont moins habitués aux débats et au dialogue, ces questions seront souvent perçues comme des attaques auxquelles il leur sera impossible de demeurer insensible. Mis à l’épreuve, l’autorité qu’ils croyaient détenir se révèle alors comme étant protocolaire, sans réel fondement. Une obligation de respecter le rôle d’un individu lorsque sa compétence ne justifie pas un tel niveau de respect mène sur un terrain glissant. Bien qu’en surface, les employés continuent à jouer le jeu, leur jugement de l’individu aura priorité sur leur manière d’interagir avec le service; faux sourires et politesses creuses, ce rapport faux minera l’efficacité du service RH.

Plus souvent qu’autrement, ces défis engendrent une remise en question chez le spécialiste moins expérimenté, ce qui provoque un désir de devoir se prouver aux yeux des autres; l’instinct de survie les poussent à tenter de démontrer qu’ils sont indispensables.

Le spécialiste ainsi ébranlé tentera de justifier sa compétence en proposant à son employeur de nouvelles idées, de nouvelles méthodes de travail calquées sur celles pratiquées chez les inatteignables (Google, Apple, etc.). Tout cela présenté de façon savamment ciblée en vue de rendre ces propositions alléchantes à l’esprit compétitif qui anime les entrepreneurs de tout acabit.

Cette logique simpliste semble à première vue infaillible : si l’entreprise la mieux cotée de la planète emploie une stratégie « X », s’accaparer de cette stratégie à nos fins est donc gage de succès!

Or les techniques et méthodes de travail les plus novatrices ne sont pas nécessairement applicables à toutes les échelles ou pour tous les types d’entreprises. Tenter de transformer la culture de l’entreprise de manière aussi réactionnaire est une excellente manière d’assurer l’effacement de tout sens d’identité que celle-ci peut évoquer pour ses employés et ses clients.

II- Temps mort

Bien que les responsabilités du service des ressources humaines croissent naturellement de pair avec l’augmentation du nombre d’employés, il est faux de penser que l’horaire des spécialistes en ressources humaines deviendra de par le fait même surchargé. En fait, au cours d’une année typique, le temps d’un spécialiste en ressources humaines sera investi majoritairement en maintenance récurrente : une panoplie de tâches routinières auxquelles viendront s’ajouter quelques moments d’activité soutenus, souvent liés à des problématiques, conflits ou événements précis.

À certains moments de l’année donc, des périodes plus calmes au niveau des besoins en ressources humaines se font sentir et le réflexe de quiconque occupant ce poste sera alors de se « rendre utile ». C’est lors de ce scénarios qu’on peut alors voir apparaître des changements qui peuvent initialement sembler bénéfiques : transformation des bureaux isolés en aire commune, changement de fournisseur au niveau du régime d’assurance collective sans avantage évident, changement du système de paie, refonte et redistribution des responsabilités sans ré-ingénierie de la structure de l’entreprise, etc..

Ces changements posent problème car ils sont faits hors du plan d’affaires, simplement pour suivre une tendance ou prouver à tout prix l’utilité d’un service qui serait temporairement moins sollicité qu’à l’habitude. Les employés sont mis au fait après l’implantation de nouveaux systèmes, sans avoir été consultés; l’adoption de ces nouvelles procédures ou approches risque de générer un taux élevé de réticence au sein du personnel. Aux yeux des employés, le service prendra une allure purement utilitaire; un service sur demande, réduit à être simple exécutant des désirs de la direction.

III- L’avenir des RH

Ces deux scénarios illustrent la nature insidieuse du problème; les gestes sont posés avec la meilleure intention qui soit mais le résultat vient souvent ternir l’image du service aux yeux des autres. Le blâme ne retombe pas sur les épaules d’un seul individu, c’est un ensemble de facteurs, inhérents à la structure des entreprises et à la nature humaine qui rendent la situation aussi complexe.

La nature méconnue du domaine, couplée à l’automatisation et l’informatisation de plusieurs procédés, quelle valeur ajoutée un service RH apportera-t-il à l’entreprise de demain? Comment justifier un tel service aux yeux d’individus qui ne voient que la pointe de l’iceberg?

Certains spécialistes du domaine auront vu venir cette nouvelle ère et offriront leurs services de manière modulaire, sur demande et à distance afin de suivre les méthodes favorisées par ceux qui viendront bientôt supplanter les générations qui siègent actuellement aux conseils d’administration du monde des affaires.

D’autres opteront plutôt pour un réel partenariat stratégique avec la direction sous l’optique d’un service de ressources humaines intégré à l’ADN de l’entreprise, assurant que les spécialistes aie un siège privilégié à la table des décideurs. Ils seront alors impliqués dans les décisions de l’entreprise au même titre que tous Vice-président et pourront alors agir selon le mandat précis de l’entreprise en toute connaissance de cause et non sous forme de commande venant de plus haut dans la hiérarchie, ce qui peut mener à servir des intérêts autres que ceux qui permettront à l’entreprise d’avancer vers ses objectifs.

Ces deux approches ont leurs mérites mais demandent une transformation de fond en comble des services de ressources humaines tels qu’on les conçoit aujourd’hui.

Conclusion

L’avenir nous dira la forme que prendra le service de ressources humaines dans le monde du travail de demain. Tous les scénarios mènent à un changement drastique des manières de faire, de la structure de ces départements et de la place qui devra être laissée à la démocratisation de l’information et des procédés. Tenter de réduire le service des ressources humaines à un ensemble de procédés qui pourraient en théorie être relégués à une intelligence artificielle, c’est de mal comprendre ce service; un raccourci qui cause plus de problèmes qu’il n’en résous. Il faudra apprendre à laisser l’ego de côté et prendre compte des changements qui s’imposent afin de s’assurer que le service de ressources humaines retrouvent ses lettres de noblesse et garde sa place au cœur de nos vies professionnelles.